Par Dominique Moulon

Après l’avoir tant proclamé, ces dernières décennies, nous le savons aujourd’hui, le digital est transversal à l’art, à la société, aux sciences, à l’industrie et au politique car, tout simplement, il est omniprésent. Les disciplines artistiques, toutes sans exception aucune, ont été révolutionnées les unes après les autres par des techniques ou technologies émergeant du numérique. Les artistes du son, très tôt, ont intégré l’électricité, puis l’électronique et enfin le code, dans le jeu comme dans la conception de leurs instruments réels ou virtuels. Et que dire des images, fixes ou animées et de toute nature qu’une industrie créative n’a cessé de reconsidérer dans son approche. Plus récemment, le temps est arrivé pour la sculpture d’être contaminée par le médium numérique dont on sait les capacités illimitées d’hybridation quant aux médias ou supports qu’il investit durablement. Les départements recherche et développement conçoivent des matériaux ou textures que de nombreux artistes convoitent et que certains s’approprient. Des machines à commandes numériques semblables à celle de l’industrie ont investi les ateliers d’artistes aux process industriels. A l’ère où toutes et tous ou presque, nous pourrions imprimer bien des objets de notre quotidien. Un quotidien que l’on le pourrait plus envisager sans smartphone, ce cordon de l’intime qui nous relie au “reste” du monde, c’est-à-dire à nos communautés. Or, c’est précisément là que se profile le travail de Stéphane Simon, dans ce rapport au monde, à l’autre et à soi qu’un objet du creux de la main a profondément modifié. Depuis quelque temps, toutes et tous, ou presque, nous sommes en capacité de capturer le monde. Mais, retournant l’appareil contre soi, nous sommes passés du “Ça a été” de Roland Barthes à l’amour que, déjà Narcisse portait à lui même.

Le digital, avec “In memory of me” est ainsi omniprésent, du sujet au process et en entrée comme en sortie. Car le modèle est “entré” dans la machine par la capture, l’analyse et la modélisation, en trois dimensions. Avant qu’une autre machine, à contrôle numérique celle- là aussi, ne fasse œuvre de cet amour que nous portons à nous-mêmes au travers d’une gestualité retournée contre soi. Une gestualité des plus contrôlée et étudiée dans ses moindres détails par les sociologues qui envisagent la société au travers de nos interactions via les médias sociaux. L’homme nu sculpté par Stéphane Simon, dans son idéal de perfection,

nous revoie à la statuaire grecque alors que ses gestes convoquent les efforts immodérés que, toutes et tous ou presque, nous produisons pour réécrire en constance notre histoire comme le font les dictateurs dont on sait le narcissisme. L’acte de se mettre en scène, en cette société du spectacle et du tout numérique, étant inévitablement et au-delà du social, de l’ordre du politique. Quant à la pérennité de ces mêmes images qui, le croit-on, nous caractérisent si bien, elle est loin d’être assurée puisqu’elles se remplacent les unes les autres à des fréquences qui varient selon les âges. D’où la nécessité d’en dresser, par la matérialisation, une typologie. Pour que jamais nous n’oubliions dans le futur, dont on ne sait les usages qu’il nous réserve, à quel point nous nous sommes tant aimés.

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par Dominique Moulon, Critique d'art et commissaire d'exposition expert des cultures numériques