Par Rose-Marie Stolberg

Lié à l’émergence d’une esthétique de la subjectivité, dénoncé pour son caractère narcissique, associé à l’affaiblissement du contrôle du sujet et à son désengagement général voire son irrespect, le selfie s’est récemment imposé comme le symbole planétaire du large mouvement de l’autonomisation des pratiques culturelles permises et encouragées par la transition numérique. Qu’on le déplore ou non, le selfie est devenu une forme culturelle contemporaine représentative, qui a généré, comme le signale justement Stéphane Simon, un nouveau catalogue de gestes inédits à l’échelle universelle « dont l’expression, le sens et l’usage sont sans équivalent au regard de l’histoire de l’humanité ».
Nous assistons effectivement à une véritable généalogie de gestes, poses et formes visuelles issus de la culture
vernaculaire surdéterminée par l’image de soi et relevant de la sphère privée. Ce répertoire de formes est réinterprété dans le projet « In Memory of Me » de Stéphane Simon selon le vocabulaire de la statuaire antique, symbole de l’édification publique, elle-même orientée par des canons esthétiques, et modèle reconnu de la culture savante.
Ce catalogue de gestes ainsi traduit confère une force expressive et une tension à ce projet qui rend tangible et intelligible la confrontation des registres de la culture savante, porteuse
d’une morale acceptée et partagée vs la culture vernaculaire toujours perçue comme inquiétante. Qu’il s’agisse de lutte pour la domination du modèle culturel, ou encore de leur accord et/ou de leur(s) résolution (s) plastiques voire morales ou éthiques, il ne s’agit pas ici de faire un pronostic, mais de poser les termes d’une équation.
Sans jugement et sans nostalgie aucune, le projet de Stéphane Simon cerne les problématiques nouvelles de la culture d’aujourd’hui qui ouvrent le champ des formes visuelles à venir.
Stéphane Simon,
n’est pas devin mais il observe et pressent, et son intuition d’artiste le guide bien. Qu’il suffise d’évoquer Baudelaire qui en 1863 écrivait dans son célèbre Salon : « Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l'on veut, tour à tour ou tout ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion. ».

 

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par Rose-Marie Stolberg – Historienne de l’art